La méthode Derain

Y-a-t-il une méthode "Martine Derain" ?
Ou plutôt, en quoi le travail de Martine Derain soulève-t-il avec précision, entre art et politique, des questions de méthodes?

Déjà, ce questionnement, où se glissent l'imprévu, le jeu de l'artiste avec les codes, les pouvoirs, avec des petits bouts souvent dérisoires mais peut-être d'autant plus vivants et plus redoutables, dépasse d'un cran qualitatif les simples évidences de beaucoup d'interventions artistiques pseudo-politiques, qui s'en tiennent trop souvent à une critique post-politique, parfois jusqu'au cynisme le plus odieux. C'est déjà se situer au niveau de friction, de confrontation violente, entre un réel et ce qu'on en dit, dans des tensions réciproques, asymétriques. C'est déjà serrer les enjeux d'une situation avec sa complexité humaine, et la mettre en relation avec le sens qui lui est donné.
Le politique a à voir avec l'institution de la parole, sa répartition dans la société, les fonctions terribles de la parole. D'où, toujours, et d'abord, et chaque fois, à partir d'une intuition, d'une rencontre, un travail implacable de documentation, et d'analyse, et ensuite un prendre-parti, une prise de position assumée, et ensuite, l'invention d'une forme, que cela soit pour l'idée formidable des tickets modifiés en passeur insaisissable de la ligne de bus entre Ramallah et Jérusalem, pour la revue murale et urbaine Numéro (en collaboration avec Laure Maternati), ou pour une intervention pérenne à l'intérieur d'un nouveau foyer Sonacotra (en collaboration avec Dalila Mahdjoub), ou pour un document sous forme de livre autour du parc abandonné de La Source du Lyon à Casablanca, jusqu'au militantisme au sein de Un centre ville pour tous autour de la rue de la République à Marseille dont l'artiste veut témoigner avec un travail documentaire ou d'autres formes de créations. Il y a finalement toujours quelque chose de la psychanalyse institutionnelle dans le travail de Martine Derain, au sens elle utilise un seul moteur, un désir qu'il faut dire moins politique que politisé. Loin d'être accablé par un tel projet dans sa rigueur, nous sentons au contraire que l'audace de sa raison libère notre légèreté, notre vie, ses interstices.

http://www.documentsdartistes.org/artistes/derain/page1.html